N°8 – Noël !

 

| Éditorial

Pourquoi les enfants croient-ils ce qu’on leur dit ? Pourquoi accordent-ils foi aux histoires les plus déraisonnables ? Certes, ils sont à l’âge où l’on ne sait pas démêler le vrai du faux. Mais pourquoi font-ils confiance ? Pourquoi penchent-ils naturellement vers le oui plutôt que vers le non ? Et si le fait de croire aux êtres invisibles était une évidence innée, plutôt que le résultat d’une ignorance ?
«Le Père Noël sur son traîneau céleste va faire halte sur le toit, descendre par
la cheminée, déposer un cadeau, sans bruit, dans tes souliers et reprendre sa course, là-haut, dans le ciel noir.» Les yeux s’éclairent et les mains battent. Pas le moindre soupçon de doute. Seraient-ils de sages vieillards, leur certitude émerveillée aurait de quoi nous convertir. Mais non, ce sont des enfants ignorants. Ils ne savent rien de ce monde. Et si grandir c’était aussi perdre une certaine mémoire ? Les poètes au bout de leur vie en redécouvrent quelques bribes. «La vie, disent-ils, est mille fois plus vaste que les rêves humains.» Et si les enfants savaient naturellement cela ?
Vient l’âge où l’on éteint cette heureuse lumière. Le Père Noël n’existe pas. C’était un mensonge amusant. La merveille hier évidente ? Le fol espoir qui fait aimer l’hiver ? Réveille-toi. Regarde. Il n’y a rien. La rue, les murs, les gens, c’est tout. Le bleu du ciel ? De l’air. Les étoiles ? Des terres mortes. Et cesse de rêver, mon fils. Fais tes devoirs. Il va falloir lutter pour te faire une place. Il a dix ans au plus, l’enfant, quelquefois moins. Le voilà grand. Désenchanté. «Il a perdu cette sublime foi aux choses invisibles qui est l’essence même de la vigueur et de la jeunesse.» C’est une parole d’Okakura Kakuso, l’auteur du Livre du thé. Il connaît les saveurs, les douces et les amères.
Il en est qui ne croiront jamais plus au Père Noël. Ils le diront à l’occasion comme on dit de ces choses froides, avec un grincement de porte mal fermée. D’autres en éprouveront une vague souffrance, leur vie durant. Ils rétréciront tout, de crainte d’être dupes. Une fois (une foi ?) suffit. Il ne faut pas croire au Père Noël. J’en connais qui ne se sont jamais relevés de leur chute dans cette épaisseur des choses que l’on appelle le réel. Certes, ils ont vécu, ils ont fait leur chemin, ils sont même, parfois, «arrivés». Mais quelqu’un geint au fond d’eux-mêmes. Quelqu’un, pour ne pas dire un ange, un enfant aux ailes brisées.
Redonnez sa chance au Père Noël. Et si le mensonge n’était pas où l’on croit ? Et s’il était justement dans cette désespérante exclusivité offerte à la prétendue réalité ? Et s’il n’était pas vrai que ce sont les parents qui offrent les cadeaux ? «Oui, c’est moi qui l’ai acheté et qui l’ai déposé sous l’arbre. Mais je ne te paie rien, et tu ne me dois rien. Dans ce monde où rien n’est gratuit, quelqu’un passe chez toi et offre et repart on ne sait même pas où sans même attendre ton merci. Qui fait cette merveille ? Ni toi ni moi. Qui donc ?» Semons au moins cette question dans le regard de nos enfants. Au moins qu’ils aient une lumière vers qui marcher, dans la forêt qui les attend.


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